L'ère des Muses
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L'ère des Muses

Le roi Poète, créateur éternel, a été enfermé par les sept muses. Alors que les mondes tombent aux mains des cérébrophages, seule l'académie fait front.
 
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 Gaïden - Adel Lidar

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MessageSujet: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptyMar 1 Sep - 22:27

Poroa Lilloh, maîtresse-savoir de l'Oran, écrivit :

« J'ai rencontré, à travers ce continent aux frontières factices, les brillants esprits gardiens de la sagesse. Chefs de clan ou paysans, simples soldats et porteurs d'artefacts, j'ai profité de leurs expériences et ai tiré d'eux les prémices de ma vérité. Tous s'accordaient à les glorifier, à les déclarer grandioses, et la plèbe buvait leurs paroles comme ils auraient engloutis un nectar divin. Ces gens méritent ces louages, pourtant ces gens ne sont rien. Les êtres munis d'un intellect supérieur sont légion. Ils font le bien, le mal, répandent leurs idéaux avec efficacité, convertissent et assujettissent, libèrent et suscitent l'admiration. L'histoire ne s'en souviendra pas. Car lorsque l'homme promis à de grandes choses, celui dont les actes changeront la face du continent apparaîtra, leurs noms ne seront plus sur aucune lèvre. »

Poroa Lilloh fut l'un de ces penseurs dont l'influence dépassa les frontières. En dépit des administrations chaotiques de l'époque et de la misogynie ambiante, Valato n'oublia jamais son nom. Les maître-savoirs l'ayant succédé cherchèrent à devenir son égale, à entrer dans la légende, à comprendre le procédé leur permettant de donner sens à leur vie tout en donnant sens à celle d'autrui. Certains y parvinrent, à l'instar d'Irwan Knell, mais lui-même ne se considérait pas comme ce messie, cet homme si éclairé qu'il pourrait sortir les autres de leur cécité.

Adel Lidar n'était personne. Une victime de la guerre noyée dans une foule d'orphelins, sans racines ni attaches. Elle n'avait que onze ans lorsque le sort voulut qu'elle rencontre brièvement Edward de Reydoran durant la bataille de Rednow, et de là naquit en elle ce fol espoir d'un jour se tenir à ses côtés. Pour l'assister, pour le soutenir, pour le seconder et ainsi mériter de l'aimer. Adel était une enfant curieuse de tout, munie d'un altruisme inconditionnel qui la poussa, très tôt, à s'engager auprès des adeptes de l'ordre de Dana, un groupe religieux venant en aide aux démunis de l'après-guerre. Elle suivit sa mère adoptive, Ilawen Fabbs, à travers le continent et découvrit au fil des mois de nouveaux lieux, de nouvelles cultures, de nouveaux pans de l'histoire. Ce fut en s'installant à Artésia que son talent fut remarqué par les professeurs de l'académie, qui la firent entrer au sein du prestigieux établissement à cinq ans de sa majorité. Elle ne cessa de les surprendre, faisant preuve de capacités mnésiques hors du commun et d'une vivacité d'esprit remarquable, pourtant Adel ne nourrissait aucune ambition. Le temps passé avait relégué sa flamme pour le roi du Nord au rang de caprice d'enfant qu'elle s'efforçait vainement de faire disparaître.

Mais la flamme devint brasier. Esmezia Fambriel nota à son tour l’impressionnante intelligence de cette adolescente qu'elle ne connaissait que de nom, et fit confirmer son sentiment à Snori Pendragon qui, fort de son expérience en tant que monarque de l'Oran et chef militaire suprême des armées du Sud, demeura ébahi. Adel surpassait selon lui son mentor et ami Irwan Knell, aussi le roi déchu s'empressa-t-il d'aller la présenter à Edward de Reydoran. La rencontre n'eut lieu qu'au quatrième jour du tournoi du Pot et se solda par l'entrée officielle de l'orpheline naïlikane à la cour du jeune régent du Nord, à laquelle elle ne put jamais mettre les pieds. Placée en précipitation à la tête des défenseurs du Pot durant l'attaque de Valentin Aënis, Adel mena avec brio un combat perdu d'avance et limita drastiquement le nombre de victimes. Ce fut tout naturellement que, à seulement seize ans, elle fut nominée en tant que membre du gouvernement de l'Arène. En dépit de la condescendance que lui réservaient souvent ses aînés, elle devint rapidement l'une des conseillères les plus proches d'Edward, la porte-parole du gouvernement, ainsi que son maître-savoir, archiviste, et chef militaire. Les survivants du grand cataclysme ne tardèrent pas à comprendre que la survie de l'humanité tenait en majeure partie à la bonne entente entre le roi du Nord et sa plus jeune recrue.

Adel Lidar a beau être l'une des clés de voûte de la communauté humaine du nouveau monde, elle demeure une adolescente de dix-sept ans à qui sa fragilité émotionnelle peut jouer des tours, et qui a encore beaucoup à apprendre au sein du gouvernement. Sa passion pour son roi, gardée secrète depuis toujours et rendue inavouable par le mariage de celui-ci, constitue sa motivation principale et sa plus grande frustration. Ce Gaïden racontera les moments forts qu'elle vécut durant les quinze mois séparant le grand cataclysme de l'ouverture de la Nébuleuse du Néant.


Poroa Lilloh, maîtresse-savoir de l'Oran, écrivit :

« Cet homme qui changera le monde, cet homme dont les récits parleront jusqu'à la fin des temps et à qui chacun devra dédier sa reconnaissance inconditionnelle, cet homme qui aura défait Néant et Chaos pour en extraire l'Harmonie durable, cet homme grâce à qui le bonheur surgira dans le champ des possibles de tout à chacun, sera l'homme qui saura aimer. »

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MessageSujet: Re: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptyMer 2 Sep - 21:41

Note : L'action se déroule deux jours après le départ de l'expédition menée par Esmezia Fambriel, laquelle compte en son sein la plupart des hommes forts du Pot.


La première secousse se fit ressentir aux alentours de dix heures. Théoloric Fambriel et ses hommes, en charge de l'entretien des champs érigés par la plus jeune des archanges, n'en furent guère affolés et reprirent leur dur labeur comme si de rien n'était. La seconde secousse ravagea les fébriles barrières de bois et déstabilisa suffisamment les travailleurs pour les faire choir, pourtant l'inquiétude ne les gagna toujours pas. Qu'auraient-ils gagné à s'affoler face à un phénomène naturel contre lequel luter était impossible ? Ces agriculteurs du nouveau monde finirent toutefois par s'abriter derrière les murs de l'Arène lorsque la tempête de sable se leva en faisant preuve d'une telle intensité que d'épais rocs venaient s'écraser sur les parois de la base de l'humanité. Les fils de la terre s'empressèrent de renforcer la structure à l'improviste et s’agglutinèrent dans leurs appartements en attendant une accalmie incertaine. Adel observait le maelström poussiéreux à travers une épaisse vitre, les sourcils froncés. Cela ne faisait qu'une dizaine de jours qu'ils vivaient ici, mais l'adolescente avait dores et déjà compris que rien n'arrivait par hasard en ces lieux. Irwan Knell, l'ancien maître-savoir du royaume de l'Oran et son mentor actuel au sein du gouvernement, l'interpella depuis la table de bois à laquelle il s'était installé et où pléthore d'ouvrages trônaient.

-Prends donc ton mal en patience, jeune fille, lui recommanda-t-il avec le sourire. On ne peut stopper un tel phénomène.

Adel répondit par un soupir étouffé et pensif sans bouger d'un pouce. Pour des raisons difficilement explicables, bien des éléments propres aux cinq mondes détruits durant le grand cataclysme se retrouvaient en ces lieux. La magie coulait à flots et les créatures les plus dangereuses gambadaient à nouveau à travers les vastes plaines, si bien que sombrités et sprinkhaans étaient eux aussi de la partie. Or en observant ce sable virevoltant, Adel eut le sentiment d'avoir déjà ouï la description d'un tel phénomène. L'adolescente ne parvint pourtant pas à clarifier ce souvenir, certainement enfoui au milieu de toutes les informations qu'elle avait du accumuler ces derniers jours. Les minutes passaient et la tempête gagnait en intensité, si bien qu'Adel dut bientôt plisser les yeux pour voir au travers. Elle retint un hoquet de surprise lorsqu'une forme arrondie sembla se profiler entre les arbres de l'immense foret encerclant l'Arène. Il y avait quelque chose là-bas. Une bête, une énergie, une entité. Il lui fallait s'en assurer. Elle fit quérir Lars Anderson, un mutant de Cardith ayant pour particularité d'être plus vivace que n'importe quel homme dans tous les domaines. Ses yeux ne faisant pas exception à la règle, il faisait preuve d'une acuité supérieure et détecta presque instantanément la forme décrite par la jeune disciple du maître-savoir.

-Ouais, y'a quelque chose, assura le jeune homme. Ça se déplace sous terre et c'est énorme. C'est quoi ?

Irwan et sa seconde se consultèrent du regard avant que cette dernière ne réponde avec une moue dubitative.

-Nous n'en savons rien pour l'heure, mais la situation est préoccupante. Si cette chose s'avère hostile et compte tenu de sa taille, on ne peut compter que sur...Julie, Nitilde, Mavis, Pandora et Layla.

Rien ne témoignait pour l'heure de l'agressivité de l'invité surprise, toutefois les vertus de la prudence n'étaient plus à prouver. Layla n'était pas apte à maîtriser convenablement ses pouvoirs fraîchement acquis, et Mavis était l'un des membres du conseil d'Edward, soit une vie qu'il n'était pas envisageable de mettre en jeu. Cela réduisait le nombre de défenseurs de l'Arène à trois, dont une fille d'à peine quatorze ans encline à l'insubordination et une seconde adolescente sans aucune formation militaire ni mesure de ses capacités. En somme, pour peu que leur potentiel adversaire surpasse Julie, leurs chances de victoires étaient minces. Tout ceci en ne prenant en compte que le seul gabarit supposé du monstre, lequel disposait à n'en pas douter d'une magie tout aussi imposante. Adel s'empressa de faire réunir ses trois soldats sans prendre le temps d'avertir Edward ou ses homologues, qui s'en remettaient de toute manière à elle lorsqu'il s'agissait d'organiser les défenses. La nouvelle parvint toutefois rapidement aux oreilles de Kellue Dovlass, l'une des deux femmes à la tête de l'armée provisoire de l'Arène. Elle grimpa jusqu'à la tour de guet où Adel s'était perchée afin de profiter d'un meilleur point de vue. Malgré la hauteur de l'édifice, il était nécessaire de s'agripper aux barrières métalliques pour ne pas se faire emporter par les intenses courants provoqués par la bête cachée.

-Qu'est-ce que tu prépares encore ? cracha Kellue du ton glacial qu'on lui connaissait.

-Là, regardez, répondit Adel sans se détourner. J'ai eu la confirmation que quelque chose se déplace sous terre. L'hypothèse la plus probante est qu'il s'agit du Mégoül, ou plutôt d'une créature de la même espèce. J'ai déjà envoyé Julie Maffert, Pandora Sozin et Nitilde Aënis sur place, avec l'ordre de se retirer au premier accrochage. J'attends donc d'être fixée. Mademoiselle Dovlass, il faudrait mobiliser les troupes en garnison et demander aux citoyens de rester chez eux.

Dans le monde des éléments, le Mégoül était un être légendaire dont certains disaient qu'il était le fils du tout premier maître des éléments. Puissant maître de la terre, être éternel et sagace, il avait péri contre l'armée de Valentin Aënis, mais ce nouveau monde était plein de surprise et Adel était désormais presque certaine que leur assaillant en était un équivalent. Kellue, qui avait par fierté la plus grande des difficultés à obéir à une enfant, contesta bien vite :

-Rester chez eux ? Je te rappelle qu'on a des points de ralliement dédiés à ce genre de situations.

-J'en suis consciente, mais s'il s'agit bien du Mégoül, regrouper le peuple entre quatre murs de pierre serait un pari plus que risqué. Non, mademoiselle Dovlass, j'insiste : mieux vaut se disperser.

Les loges dédiées aux invités des cinq mondes durant le tournoi se situant de part et d'autres de l'Arène, les citoyens seraient effectivement répartis de façon homogène dans le bâtiment en restant dans leurs appartements respectifs. Forcée d'admettre qu'il s'agissait à défaut de mieux de la solution la plus appropriée, Kellue acquiesça en silence et redescendit donner les ordres. Adel retourna à sa longue-vue, qu'elle braqua vers le groupe de Julie. Celle-ci étant de loin la plus rapide des trois, elle avançait seule tandis que ses comparses restaient aux portes de l'Arène, prêtes à aller la soutenir en cas de besoin. Il ne s'agissait que d'un round d'observation. Et alors que la femme originaire du monde des sourciers lévitait vivement au-dessus de la masse terreuse en mouvement, le ton fut donné. Une patte violacée surgit du sol, toutes griffes dehors, et tenta de happer la sourcière qui fit volte-face et s'en tira de justesse. L'immense main, écartée, déclencha une nouvelle secousse lorsqu'elle impacta le sol avec véhémence, faisant cette fois-ci trembler les murs de l'Arène qui présentèrent d'inquiétantes fissures. Alors, en un instant, la terrible créature apparut aux yeux de tous. Colosse reptilien d'écailles, de griffes et de crocs, il se dressa si haut sur ses quatre membres que les murs du bâtiment ne lui rendaient qu'une fois sa taille. Tandis que la terre s'écoulait de son dos, les yeux horrifiés des spectateurs découvrirent une chair lavande ornée de protubérances osseuses brunes, et restèrent pétrifiés face au spectacle morbide qu'offrait la gueule démesurée du monstre semblable à un puits sans fond. Julie ne tarda guère à réagir, projetant vers son adversaire un trait de lumière dont elle avait le secret. Touché de plein fouet, le Mégoül poussa un hurlement déchirant alors qu'un sang orangé s'écoulait de sa plaie, et contre-attaqua aussitôt en balançant son poing fermé vers l'être à la stature insignifiante osant s'en prendre à lui. Le geste fut autrement plus vif que la stature de la créature ne le laissait à envisager. Nitilde, en retrait, érigea un plateau vertical de matière noire entre l’assaillant et sa cible. Mais ce ne fut le poing qui frappa. Avant d'être cette bête au physique dantesque, le Mégoül était un maître de la terre. La roche jaillit du sol en un stalagmite aussi épais que la tour sur laquelle se tenait Adel, passa outre le bouclier improvisé par Nitilde en le brisant tel du verre, et impacta avec violence Julie, dont tous les os venaient d'être réduits en miette. Le cadavre, misérable poupée de chiffon désarticulée, décrivit une longue courbe aérienne avant d’atterrir dans les fourrés bien plus loin.

Adel replia sa longue-vue, qu'elle posa calmement sur le sol du sommet de la tour, dont elle sauta aussitôt vers l'intérieur du bâtiment. Alors qu'elle allait brutalement atterrir, elle créa une bourrasque montante qui lui permit de ralentir sa chute et de poser pied à terre en douceur, puis elle expira longuement. L'être étant actuellement le plus à même de défendre l'Arène venait d'être anéanti en un geste, pourtant elle ne pouvait se permettre de perdre son sang-froid. L'adolescente fonça au plus vite vers l'officier le plus proche et réquisitionna le porolien le plus rapide à sa disposition, l'envoyant rattraper le groupe mené par Esmezia Fambriel. Peut-être n'arriveraient-ils pas à temps pour les sauver ou que la bête serait morte d'ici là, mais se priver de leur support en cet instant aurait été pure folie. Déjà, les murs supplémentaires dressés par les fils de la terre s'écroulaient, et les éclairs de Pandora zébraient les cieux. Dix jours seulement qu'ils étaient installés dans le nouveau monde, et le peuple risquait dores et déjà son extinction.

-Faites convoquer tous les fils de la terre, ordonna placidement Adel à l'officier.

La jeune stratège se tenait droite, mais l'éclat dans son regard en disait long sur sa détermination. Le peuple allait évacuer pendant que l'armée retiendrait le Mégoül. Ce serait une bataille à l'usure, où le courage de chacun sauverait la vie de tous. Adel ne voulait entendre dire qu'il était perdu d'avance et que tous les augures étaient en leur défaveur : l'humanité avait suffisamment perdu sous son commandement. Elle ne perdrait pas aujourd'hui.
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MessageSujet: Re: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptyJeu 3 Sep - 21:11

Une foule d'inconnus n'obéit pas à une adolescente. Quel que soit son grade, quel que soit le danger, quelles que soient les innombrables variables. Et les rescapés du grand cataclysme ne dérogeaient pas à la règle. Eux qui venaient de tous horizons peinaient à reconnaître la légitimité d'un gouvernement aux allures monarchiques s'étant formé sans l'avis du plus grand nombre. Le Mégoül représentait un danger tangible, concret, une menace à leur semblant de pérennité, mais s'engouffrer aveuglément sous terre, la queue entre les jambes, sous prétexte qu'une jeune fille l'avait ordonné les révulsait. Oh, certains faisaient la part des choses en suivant docilement les instructions, mais beaucoup préféraient se tasser dans leurs misérables loges en attendant une accalmie, ou envisageaient dores et déjà une survie solitaire, jaugeant qu'une communauté aussi large et hétéroclite ne pourrait jamais s'accorder. Puis la panique prit le pas. Entre les envahisseurs de la semaine dernière, le deuil des cinq mondes et ça, les organismes ne parvenaient plus à réguler la tension qui s'accumulait. Car si quelques uns pouvaient prétendre faire bonne figure, l'immense majorité des rescapés était constituée d'êtres humains ordinaires, dénués du moindre pouvoir. Cette impuissance entraînait irrémédiablement une frustration sans nom. Adel serrait les dents. Elle s'était entraînée à diriger des peuples unis par une culture et dont les comportements étaient régis par des normes stables, or il s'agissait là d'une toute autre paire de manche. Ne voyaient-ils pourtant pas que leur manque de discipline mettait leur vie en péril ? L'évidente réponse se formulait au négatif, mais elle devait les sauver, que cela leur plaise ou non. Comment, pour autant, se voir accorder leur confiance ? Elle ne pouvait pas leur en vouloir de craindre les risques encourus par cette expédition souterraine qu'elle leur proposait compte tenu de la nature de l'ennemi. Il fallait autre chose, un plan solide. Un abri solide. Immobile au centre d'un tumultes de soldats montant aux créneaux, l'adolescente fit abstraction de ses sens durant quelques secondes, et prit la parole aussitôt qu'elle fut sortie de cet état d'intense réflexion.

-Je veux Raphaël Monier, Nitilde Aënis, nos télépathes et huit guérisseurs, fit-elle à l'officier qui ne la quittait pas sans le regarder.

L'homme relaya aussitôt les ordres. Derrière les murs, les mages les plus émérites repoussaient farouchement le Mégoül qui n'avait de cesse de revenir à la charge, ne disparaissant dans sa tempête de sable que pour en surgir de nouveau l'instant d'après, plus féroce et déterminé que jamais. Ses blessures, parfaitement superficielles, témoignaient de la terrible dépendance dont souffrait l'Arène envers ses plus grands défenseurs, dont Julie Maffert faisait jusqu'à lors partie. Peut-être que Layla parviendrait à réitérer son exploit ou que Lilia arriverait à temps, mais Adel préférait envisager le pire des scénarios et s'accorder le maximum de chances de victoire possible. Raphaël et Nitilde furent ne furent guère aisés à trouver, et il fut plus compliqué encore de les convaincre de renoncer au combat, mais l'écart de puissance était si évident que continuer de lutter était vain, aussi finirent-ils par obtempérer. Adel attendit patiemment les trois télépathes dont l'armée avait connaissance. L'idée de demander à Esmezia de discourir à sa place lui traversa l'esprit et en fut chassée tout aussi vite : assez de se ranger derrière les autres. Puisqu'elle se permettait de commander à l'humanité dans son intégralité en temps de crise, il lui fallait assumer ses responsabilités. C'était sa voix qu'ils allaient entendre. Qu'ils sachent qui les avait sauvé s'ils survivaient. Qu'ils sachent qui leur avait failli s'ils perdaient cette bataille. Les télépathes firent signe qu'ils étaient prêts à transmettre son message à tous les rescapés. Le vent faisait fouetter le long manteau d'Adel sur ses cuisses et mettait à mal sa sombre masse capillaire, pourtant la valatienne demeurait stoïque, le regard braqué vers le champ de bataille, faisant mine d'une assurance que ceux la côtoyant au quotidien ne connaissaient que trop bien. Elle inspira longuement et discourut à haute voix.

-Citoyens, écoutez-moi ! L'Archange sera bientôt là pour vaincre cette créature. Car aujourd'hui nous ne perdons pas ! Je ne vous demande pas de faire le nécessaire pour abattre un adversaire face auquel vous ne pouvez rien, je vous demande de faire le nécessaire pour survivre ! Nous pouvons vous sauver. Rassemblez vous tous au centre de l'Arène dans les plus brefs délais. Des soldats se battent en ce moment même pour vous permettre d'effectuer cette manœuvre, ne sacrifiez pas leurs vies et les vôtres vainement.

Adel fit signe aux télépathes qu'elle n'avait rien à ajouter. Elle avait conscience d'avoir été sèche, mais il n'y avait ni temps à perdre ni matière à se réjouir tant qu'ils ne seraient pas sortis d'affaire. Les citoyens les plus réceptifs ne tardèrent pas à s'agglutiner au milieu du vaste terrain ensablé où s'étaient déroulés les matchs du tournoi, tandis que Nitilde et Raphaël se plaçaient aux extrémités de celui-ci, accompagnés de quatre guérisseurs chacun. Un coup perdu du Mégoül se concluant par la traversée de la paroi interne par son immense main griffue finit de convaincre les plus réticents qu'il était grand temps de mettre leur fierté de côté. Aux exceptions près des retardataires et des dissidents, les survivants furent bientôt tous réunis. Tout en sachant pertinemment que ces laissés pour compte la hanteraient des mois durant, Adel prit la décision de ne pas attendre plus longtemps, sans quoi les risques n'auraient fait que croître à une vitesse folle. La plupart des soldats se joignirent eux aussi à la foule grouillante, si bien qu'il ne resta, face au titan, que l'élite des mages du nouveau monde, ceux aptes à survivre à ses assauts d'eux-même. Adel fit signe au prince de Porol de mettre le plan à exécution. Le Reinom entama la formation d'une demi-sphère passant au-dessus des crânes du peuple et bien en-dessous de ses pieds, tandis que Nitilde venait compléter cette coquille obscure avec sa propre matière noire. Déjà, les guérisseurs s'affairaient à restaurer les réserves magiques mises à mal des deux maçons de cette forteresse éthérée, lesquels s'étaient à leur tour placés à l'intérieur. Une sphère parfaite protégeait à présent l'humanité. Cette même matière dont elle était formée avait déjà été brisée par le Mégoül lorsque June l'affrontait, mais le mur improvisé par Nitilde à ce moment avait été bâti dans la précipitation. Lorsqu'elle était produite convenablement, cette matière noire qui partageait ses propriétés avec le pouvoir de Raphaël était tout bonnement indestructible. De rares fils du feu levèrent hauts leurs bras afin de créer quelques flammèches permettant de faire régner le dôme dans la pénombre plutôt que l'obscurité totale. L'inquiétude monta crescendo. Ils avaient fait confiance à la protégée d'Edward et n'étaient à présent plus libres de leur mouvements. Prier restait leur dernier recours. Mais qui prier ? Dieu était mort dix jours avant.

Le pan Ouest de l'arène s'effondra une dizaine de minutes plus tard. Comme l'on pouvait le craindre, la réduction de l'effectif avait accéléré le rythme des attaques du Mégoül. Fort heureusement, ses assauts répétés semblaient l'avoir épuisé, aussi était-il retourné sous terre où il se ressourçait certainement en attendant de pouvoir s'engouffrer dans la brèche dont il était responsable et écraser une bonne fois pour toute ses proies. Compte tenu des propriétés physiques de la bête, il y avait fort à parier que le durée du délai salvateur ne se compte qu'en minutes. Adel créait en continu des courants giratoires autour d'elle, se protégeant ainsi des gravats qui continuaient de virevolter malgré l'absence de la bête légendaire. Elle ne s'était pas réfugiée avec le peuple, s'interdisant de se mettre en sécurité tant qu'elle n'était pas certaine que le danger n'était plus. Elle avait en outre ce besoin de constater d'elle-même l'état de la situation pour se préparer aux décisions à prendre dans un avenir proche. L'Arène ne tenait déjà debout que par miracle par le passé, et ce trou béant n'allait pas arranger les choses. Pour peu qu'il vienne à l'idée à d'autres monstres de profiter de la situation pour s'essayer à la chasse à l'homme, leur refuge de fortune deviendrait absolument obsolète. La perspective d'une migration forcée n'avait rien de réjouissante et commençait cependant à s'imposer dans l'esprit de la jeune stratège. Il leur faudrait un lieu placé sur un terrain plane et non pas entouré d'une forêt grouillante de créatures, ainsi qu'une infrastructure en bon état à fortifier. Un poste avancé comme celui que l'expédition d'Esmezia avait pour mission d'assainir, en somme. Mais s'ils ne pouvaient y parvenir sans Lilia et que l'Arène était incapable de se défendre sans elle, leur situation n'avancerait jamais. Le retour du Mégoül coupa court aux prédictions d'Adel. Il encaissa de plein fouet un éclair de Pandora Sozin sans broncher, et se cambra peu à peu jusqu'à se dresser sur ses deux pattes arrières. Ses mains, tendues vers le ciel, se mirent à trembler alors que, dans son dos, la forêt se soulevait. Ce fut un amas colossal de terre, de rocaille et de bois qui lévita bientôt à quelques mètres des membres supérieurs de l'assaillant, lequel se mit en action sans plus attendre. La sphère minérale compressée fusa droit vers le dôme noir, l'impactant de ses centaines de tonnes. Le choc fut terrible, enfonça la sphère de plusieurs mètres dans le sol comme un marteau aurait enfoncé un clou, mais ne fut pas suffisant pour briser la redoutable armure érigée par Nitilde et Raphaël. Adel ne retint pas un sourire de soulagement qui disparut presque aussitôt ; le Mégoül s'apprêtait à répéter le processus. Les hommes encore sur place eurent beau déverser sur lui des flots de magie, rien n'y fit et un second projectile vint inéluctablement heurter le dôme. Il se fissura cette fois-ci par endroit et fut aussitôt réparé par ses créateurs, qui manquaient de s'écrouler sous l'effort en dépit du travail acharné des guérisseurs.

Il n'y eut pas de troisième coup. En pleine action, le Mégoül se figea. La lueur orangée de ses iris s'éteignit d'abord, avant que le violet de chair ne s’éclaircisse. Son agonie fut longue. En l'espace de cinq minutes, il était devenu intégralement blanc, puis émit bientôt une pâle lumière dorée qu'Adel reconnut comme étant celle de l'archange. L'humanité sortit de son dôme pour observer son messie, une jeune femme si frêle qu'elle en paraissait dérisoire face à son adversaire. Dix mille paire d'yeux observèrent la mise en œuvre de la magie du Pot dans sa forme la plus primaire. Dix mille paire d'yeux virent par quel procédé le Mégoül fut effacé de la réalité par Lilia Hubs. Dix mille paire d'yeux réalisèrent que la pari risqué d'Adel Lidar était gagné.
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MessageSujet: Re: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptySam 5 Sep - 7:35

Journal d'Adel Lidar,
33ième jour


Note formelle.

En dépit des rapports réguliers de nos messagers, les membres du conseil et moi-même tenions à entendre Edwig Luthness et Darius Maffert exposer leur version des faits. Il fut décidé de les interroger séparément à leur retour, et je fus assignée, avec d'autres, à l'interrogatoire du second. Je constate par ailleurs, à l'occasion de la rédaction de ces quelques lignes, que je n'ai pas encore eu l'occasion de faire le point sur ce jeune homme. Je m'en chargerai dès lors que ce dit interrogatoire sera résumé. Sa retranscription complète a été archivée dans le dossier des expéditions, allée trente-deux, étagère quatre.

Les propos de Darius furent brouillons. Il ressentait visiblement une certaine gène mais s'amusait de la situation et biaisait volontairement son aisance orale pour rallonger la conversation, en prenant plaisir à faire grandir l'exaspération chez certains. Mais Mavis Sozin, ferme, parvint finalement à lui faire cracher le morceau. Darius et Edwig avaient pris la décision de continuer leur mission première alors que le reste de l'expédition se repliait à la suite de Lilia Hubs, désobéissant ainsi aux ordres directs d'Esmezia Fambriel. Si une telle conduite s'explique dans le cas d'Edwig par son ancien antagonisme avec Esmezia, Darius ne dispose d'aucune excuse et n'a pas cherché à en trouver, stipulant qu'il était « libre d'obéir ou non à une rouquine, aussi charmante soit-elle ». Darius et Edwig sont donc arrivés jusqu'à la place forte qu'ils étaient chargés de libérer et sont parvenus avec brio à en chasser les monstres, et dès lors le récit des deux hommes converge : ils auraient bu à leur victoire et, ivres, auraient détruit l'objet de leur conquête. Ne voulant rentrer bredouille, ils ont alors cherché un autre fort à s'approprier, et sont revenus plein d'entrain à l'Arène en nous vantant les mérites de ce « Bastion ».

Si la mission première se solda par un échec, la trouvaille de ce lieu semble constituer une victoire. Selon les rapport récents, à prendre au conditionnel, ce Bastion serait structurellement plus résistant que l'Arène, se situerait sur un plateau et disposerait de plusieurs points d'eau douce. Dès lors, mon ressenti vis à vis de ces deux hommes m'indispose. Je ne sais pas si je dois les féliciter pour leur initiative ou les sermonner pour leur bêtise. Je n'ai eu l'occasion de discuter Edwig Luthness. J'y viendrai. D'ici là, je m’attelle à la mise sur papier de l'impression que me fait son ami.

Note personnelle.

Le gouvernement s'est réuni au complet il y a quelques heures de cela. Ils ont longuement discuté sans solliciter ma participation. N'ayant trouvé matière à intervenir, je ne me suis pas imposée, et bien que je sache que ce sentiment est puéril, j'ai été vexée du manque de considération de certains. Ces pensées me répugnent et ne seront jamais oralisées, mais je trouve pourtant que ces mêmes individus ont tendance à oublier que leur survie tient en grande partie à ma promptitude face à l'imprévu. S'en vanter est indigne, je sais. Et je me dis finalement que leur reconnaissance m'importe peu. Car j'ai vu dans les yeux d'Edward une fierté dont j'étais la source. Son estime vaut la leur à tous. Après la réunion, j'ai discuté avec la reine. C'est une femme douce et dynamique, qui ne cesse de vanter les mérites de son époux. Le roi fut de fait le sujet de conversation principal durant ces quelques instants partagés. Et une fois encore, mon cœur balance. S'entretenir avec une jeune dame si charmante est un régal, mais ses mots, involontairement, provoquent chez moi ces élans de jalousie enclins à raviver une certaine mélancolie.


Journal d'Adel Lidar,
Le cas Darius Maffert.


Rédaction : 33ième jour

Darius est un élément clé. Son pouvoir est tel qu'il est enclin à renforcer nos forteresses, à fournir des matières premières, à combattre de puissants ennemis isolés, et à dresser une armée pour des batailles de plus grandes envergures. M'est d'avis que sa place est au sein de notre quartier général, en garnison, afin qu'il puisse être disponible en toute occurrence. Son avis semble cela dit diverger du mien.

Le comportement de Darius m'exaspère. Il n'en fait qu'à sa tête en toute circonstance, s'amusant d'événements graves et ne se souciant guère de l'état mental d'autrui. Le peuple le porte pourtant haut dans son estime, et il pourrait devenir une figure de bien s'il y mettait du sien. Mais lui préfère sa liberté. Il lui arrive régulièrement de disparaître plusieurs jours durant sans en dire mot. Tout porte à croire qu'il explore les alentours par envie. Plus encore que sa désinvolture et son insubordination, son attitude envers la gent féminine porte à l'écœurement. J'ignore encore beaucoup des mœurs du monde des éléments, toutefois il ne m'a semblé entendre dire qu'une telle tendance à la tromperie et qu'une prolifération telle des relations charnelles était acceptable. Peut-être n'ai-je pas à exprimmer d'avis sur la question, et je ne l'aurais pas fait s'il ne m'avait formulé d'avances explicites. Pire encore, l'influence de cet individu sur Layla Soubresault me préoccupe. Alors que nous combattions Valentin Aënis, Lilia et Layla ont fait démonstration de pouvoirs dépassant l'entendement. Nos deux archanges constituent notre arme secrète. L'une est en proie à la dépression, et l'autre adopte donc les mauvaises habitudes de ce voyou.

Mais en dépit de tout ceci, Darius trouve constamment le moyen de prouver son efficacité. C'en est rageant et, force m'est de l'admettre en dépit de ma morosité, égayant.


Journal d'Adel Lidar,
37ième jour


Note formelle.

L'état de l'Arène ne cesse d'empirer. Les fils de la terre font de leur mieux pour rebâtir les pans écroulés du bâtiment, en vain. Les créatures continuent de tenter des percées régulières, et la structure même de cette forteresse semble empêcher toute réparation, ou tout du moins les ralentir considérablement. Mon hypothèse première est que ce lieu, ayant survécu au grand cataclysme, est encore empli d'une magie entrant en conflit avec la maîtrise élémentaire. J'aurais espéré que Layla puisse nous en apprendre plus, toutefois ces questions ne sont pas une priorité à ce jour. Le fait est que nous faiblissons. Lilia n'accepte de parler qu'à sa sœur ces derniers jours, et celle-ci m'a affirmé de vive voix qu'elle était pour l'heure incapable d'utiliser ce pouvoir qui lui permit de nous débarrasser du Mégoül le mois dernier. Miranda est donc devenue, à défaut de mieux, notre pièce maîtresse. Aussi puissante soit-elle, elle puise toutefois trop rapidement dans ses réserves pour s'avérer réellement efficace. Une impasse se profilant, j'ai donc fait réunir le gouvernement cet après-midi.

Je leur ai proposé de déplacer l'humanité. On m'a évidemment rit au nez, mais je me suis tout de même expliquée. L'Arène ne tient pas, même les plus têtus d'entre eux ne peuvent le nier. Quand bien même nos archanges seraient parfaitement opérationnelles, nous ne pourrions défendre l'intégralité des survivants, et cela induirait une dépendance inacceptable envers elles. Il nous faut un endroit plus sécurisé, plus vaste, plus enclin à constituer le véritable berceau de la nouvelle humanité. Il nous faut le Bastion. Une semaine de marche est à prévoir entre l'Arène et cette destination. Pour réduire les risques et ne pas ralentir les rythmes, j'ai proposé que la migration se fasse en plusieurs fois, afin que l'Arène se vide petit à petit. Lorsque moins d'hommes y résideront, moins de créatures devraient l'attaquer, aussi devraient-ils pouvoir se défendre. Le voyage sera évidemment risqué, toutefois il est important de faire face à une dure vérité : si nous ne migrons pas, nous sommes condamnés à l'extinction. L'idée s'est difficilement mais sûrement imposée. Il ne reste plus qu'à l'annoncer au peuple, tâche pour laquelle j'ai été désignée d'office. La nouvelle ne sera pas bien accueillie, toutefois je conserve espoir qu'à force d'entendre ma voix, on finisse par la trouver rassurante.

Si faire accepter l'idée de la migration n'a pas été facile, ma seconde proposition fit naître une véritable guerre verbale. J'ai demandé à ce que l'on transporte l'intégralité de la bibliothèque de l'Arène vers le Bastion. Kellue Dovlas fut ma plus farouche opposante. Elle m'intimait de garder les pieds sur terre, me hurlait que la charge que cela représentait ralentirait considérablement les convois et ferait courir des risques inconsidérés aux citoyens. Mais je ne me suis pas laissé faire. Cette bibliothèque est à ce jour le plus grand trésor de l'humanité. Des ouvrages venus des cinq monde y résident. Livres d'histoire, essais scientifiques, romans, livres d'art. Un condensé de ce qui faisait nos civilisations respectives. Si nous la laissons aux mains d'une nature hostile, nous insultons ceux qui ont participé à faire s'élever l'homme. En survivant à ce puits sans fin de savoir qui nous épargnera des années de labeur dans tous les domaines imaginables, nous nous assurons que, d'ici des millénaires, nos descendants parleront de nous en mal. Nous allons vers le Bation, et nous prenons la bibliothèque avec nous, que cela nous coûte du temps ou quelques vies. Des vies auxquelles je penserait chaque jour jusqu'à ma mort mais que je n'hésiterais pas à sacrifier si nécessaire.

Note personnelle.

Je fais en sorte au quotidien d'être une femme de bien, de ne jamais blesser autrui, de ne pas oublier la sacralité de la vie que m'ont enseigné les prêtres de l'ordre. Valentin Aënis respectait lui aussi la vie, et cela ne l’empêche pas d'être considéré comme notre plus grand ennemi. Je me demande seulement si cet homme, à ma place, serait si différent de moi. Tout cela me vient à cause de mes derniers mots. Des gens me confient leur vie. Cette responsabilité m'effraie plus qu'elle ne m'enchante, et je ne sais plus si je dois croire ce que me dit souvent Esmezia, qui stipule que l'humanité a besoin de moi. Je ne suis pas sûre d'avoir envie d'être nécessaire. Pas pour quiconque d'autre qu'Edward en tout cas.

Toute à l'heure, lorsque Kellue m'a demandé d'annoncer moi-même au peuple qu'il serait nécessaire de migrer, les autres conseillers ont baissé les yeux. Ils n'ont rien dit, mais je pouvais sentir qu'ils étaient soulagés que cette tâche ne soit pas leur. Edward, lui, m'a regardé. Il ne m'a rien dit, mais j'ai compris qu'il m'encourageait. Peut-être me fais-je des illusions, mais j'ai bel et bien l'impression qu'il ressent à mon égard une certaine sympathie. À moins qu'il n'agisse ainsi que pour me faire plaisir, en espérant que je ne me rende compte de la mascarade. Mais je n'y crois pas. Edward est trop bon pour ce genre de bassesses. Je vais continuer de travailler dur pour que nos regards se croisent à nouveau.
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MessageSujet: Re: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptyDim 6 Sep - 18:39

Journal d'Adel Lidar,
191ième jour



Note formelle.

Voilà bien longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de rédiger une page de ce journal, faute de temps à y consacrer. Je ne suis plus certaine, dès lors, qu'il soit avisé de conserver la mise en page à laquelle je m'étais tenue précédemment, faute de continuité entre les événements éparses que je vais décrire. Pour l'heure, je m'y tiendrai.

Irwan Knell est mort le mois dernier, et a eu droit à des funérailles privées, auxquels n'assistèrent que les membres du gouvernement et ses amis de Valato. Depuis que nous nous sommes rencontré, il a été mon professeur. C'est grâce à lui que j'ai su appréhender avec sérénité l'ascenseur émotionnel de notre quotidien. Je n'oublierai ni ses enseignements, ni la tristesse d'Alix, Oloren et Esmezia lorsque la nouvelle fut annoncée. Plus encore que cette perte tragique mais inévitable, leur peine m'a touchée. Pour en avoir discuté avec lui, je savais qu'Irwan était prêt à partir avec comme seul regret de ne pas avoir eu plus de temps à sa disposition pour apprendre des fermantes.

Ces alliées n'étaient pas celles que nous attendions mais ont déjà sauvé nombre d'entre nous. Dès lors que nous nous aventurons hors du Bastion, nos expéditions sont accompagnés par quelques individus, qui participent à la chasse et aux combats, montent la garde, nous guident. Leur incapacité à communiquer avec nous ne les empêche guère de nous comprendre. Le mystère qui les entoure me fascine, et je regrette de ne pas avoir le loisir de tenter de le percer. Charlène Pynt, une mutante de l'institut Hubs, s'est toutefois chargée, de son initiative, d'étudier la société fermante en s'introduisant directement dans le nid avoisinant. Selon ses dires, les fermantes l'y ont laissé entrer et semblaient même flattés de sa visite. À l'inverse des autres insectes sociaux, nos alliés sont sous les ordres d'un patriarche, un roi unique s'accouplant avec plusieurs femelles reproductrices attitrées. Charlène a estimé, en prenant en compte à la fois la taille moyenne des fermantes, l'envergure de leur nid, leur régime alimentaire et leur mode de reproduction, qu'elles se comptaient au nombre d'un millier tout au plus. Leur territoire n'est jamais en expansion, de même que leur population. J'ai demandé à Charlène plus de détails, et son étude complète devrait être rédigée dans les jours à venir. Peut-être y trouverais-je encore matière à l'émerveillement, toutefois je dédie pour l'heure l'intégralité de mon énergie intellectuelle à l'humanité.

Car si notre association hasardeuse avec ces mantes vient signifier une hausse considérable de nos chances de survie, la situation actuelle ne prête pas à la relâche. Il y a de cela deux semaines, Raphaël Monier s'en est allé visiter les ruines de Porol, que nous avions détectées bien avant encore. Sans en faire part à qui de droit, il a réuni les rescapés de l'organisation autrefois menée par son père et est parvenu à faire s'envoler de nouveau la cité mutante. Nous avions vu cela comme un espoir nouveau de pouvoir disposer d'une forteresse mobile imprenable, toutefois la prise de position de Raphaël fut sans appel : ne pouvaient venir le rejoindre que les mutants et ceux qui seraient prêts à renier notre gouvernement au profit du sien. Jamais, depuis les premières semaines, la tension n'a été telle. Darius et Edwig semblent avoir rejoint les dissidents, tandis que Lilia est toujours incapable de nous venir en aide avec régularité. Les attaques se multiplient à notre encontre et ce fut avec stupeur que nous avons constaté la présence de sprinkhaans parmi les rangs ennemis. Le moral du peuple était bas, très bas.

Une nouvelle idée m'est donc venue, idée que je me suis empressée de partager avec Edward sans passer par le conseil, comme il m'arrive trop souvent de le faire aux yeux de ce-dernier. Mais je suis à présent à la fois l'archiviste, le porte-parole et le maître-savoir de ce gouvernement, sans compter qu'un siège m'est également réservé au sein de ce même conseil. Passer outre des institutions auxquelles j'ai agréé me désole,  mais le sujet n'est pas là. J'ai proposé à Edward de former une troupe d'élite à l'effectif réduit, un groupe jouissant d'une popularité forte qui pourrait devenir la figure de proue des lignes de défenses de l'humanité et ainsi agir concrètement sur leur moral. Nous nous sommes donc entretenus avec Kellue Dovlass, Melody Jennsen et Esmezia Fambriel, qui à elles trois connaissent mieux nos effectifs que n'importe qui, et nous sommes parvenus à prendre une décision. Ainsi, avant-hier, le Fer de Lance a été reformé. Esmezia a été unanimement désignée pour le commander. Choisir ses membres fut plus fastidieux. Nous avons rapidement désigné Nitilde Aënis et Violine Lisana, qui avaient toute deux prouvées leur efficacité et leur loyauté sans faille à notre cause, puis le tableau fut complété par Pandora Sozin et Miranda Hubs. Le groupe n'était pas pensé pour être exclusivement féminin lorsque nous l'avions imaginé, toutefois Esmezia s'en est amusée et a décrété qu'elle et ses subalternes seraient désormais les valkyries.

Elles ont mené leur première mission hier, alors que le nid de fermantes était attaqué. Les bêtes ne semblaient pas vouloir s'en prendre au Bastion cette fois-ci, pourtant Edward a insisté pour que nous venions en aide à nos alliés, qui eux n'hésitent jamais à risquer leurs vies pour les nôtres. Cette décision divisa mais fut acceptée. Il y eut quelques pertes qui, je le crains, ont été très mal reçues. À un moment où le peuple est dores et déjà mécontent, le sacrifice de nos braves soldats au sein d'une bataille n'étant pas notre n'a fait qu'ajouter de l'huile sur le feu. J'ai du m'adresser au peuple aujourd'hui afin de justifier nos actes. Il comprend mais demeure frustré, ce que je ne peux lui reprocher. Entre les dissidents poroliens, les récents débuts d'épidémie et les attaques à répétition...


Note personnelle.


Je suis épuisée ces temps-ci, et une bonne nouvelle est venue égayer mon quotidien. Edward est devenu père hier. Sa femme, Anya, a accouché d'une petite fille dont Kellue Dovlass est la marraine. Tous trois rayonnaient de bonheur, au premier plan. William Pendragon, le cousin d'Anya, est également venu les visiter. Ils étaient en famille à la clinique, si souriants qu'ils en oubliaient le poids de leur responsabilités. J'ai trouvé le temps d'aller voir l'enfant en fin de matinée. Comme tous ceux ayant entendu la nouvelle, je me tenais loin de l'héritière royale, soucieuse de ne pas m'imposer. Car s'il m'arrive de passer plusieurs heures par jour avec notre souverain, je n'en demeure pas moins une collègue, une partenaire dans cette mésaventure politique. En comparaison de Kellue, qui a été élevée avec Edward et fut de tout temps à ses côtés, je n'avais aucune légitimité à m'introduire dans le cercle privé de la famille Reydoran. Mais Edward m'a fait signe. Il m'a vue, entre ces inconnus curieux, et m'a demandé de m'approcher. Je ne les avais jamais vu aussi heureux, ni lui ni Anya, et ils m'ont exprimé, sans ambiguïté aucune, leur souhait de partager ce bonheur avec moi. Je ne suis pas certaine d'avoir déjà autant pleuré que ce matin.


♦♦♦


Adel referma l'ouvrage sur lequel elle notait, avec plus ou moins de régularité, ses avis sur les différents événements se déroulant au sein de la communauté humaine du nouveau monde depuis le premier jour. D'abord pensé comme un carnet de bord très formel, il finit par devenir un semblant de journal intime destiné à elle seule. Y réinscrire quelques mots après ces semaines d'abstinence lui fit le plus grand bien. Comme toujours, elle s'y prenait en fin de soirée, après que toutes les affaires réellement urgentes aient été réglées et une fois que sa présente n'était plus requise. Alors, elle s'asseyait à une table de la bibliothèque importée de l'Arène, de préférence à l'écart des lecteurs venant y faire un tour, et prenait plaisir à cet exutoire paisible. Ceux, nombreux, qui la reconnaissaient la dévisageaient parfois, venaient l'aborder au sujet de quelque broutille, mais il était rare que l'on s'en prenne à elle, n'aurait-ce été que verbalement. Depuis six mois qu'elle s'efforçait d'être la voix du gouvernement, l'affection que lui portait les citoyens n'avait cessé de croître, si bien que malgré les contestations occasionnelles, ni son autorité ni celle d'Edward n'avaient été réellement remises en question. Ils formaient aux yeux de la plèbe un tandem assidu, soucieux du bonheur de chacun, disponible et conciliant, et leur popularité était telle qu'en dépit de la situation à bien des égards misérable du genre humain sur cette terre aux mille dangers, peu pouvaient prétendre sans faire preuve de mauvaise foi avoir connu des chefs politiques aussi doués. Eux deux étaient ainsi les figures souriantes, rassurantes, tandis que des personnages plus aguerris tels qu'Edlan Monier, Melody Jennsen et Kellue Dovlass arboraient une rigidité tout aussi bien accueillie. Ainsi, malgré la grogne montante, la situation actuelle n'était pas si préoccupante que certains voulaient le faire croire. Adel la première en avait conscience mais préférait faire preuve de la plus grande prudence et se préparer au pire des cas, par mesure de précaution. L'adolescente quitta la bibliothèque en saluant l'une des archivistes. Une dizaine de secondes plus tard, trois individus d'apparence ordinaires partirent à sa suite.

La jeune maître-savoir, penchée sur une balustrade donnant vers les couloirs en spirale descendants du Bastion, observait d'un œil distrait les rares lumière encore allumées à cette heure tardive. Enroulée dans le long manteau sombre hérité de ses mois de service au sein de l'ordre des adeptes de Dana, elle frissonna du fait de la brise nocturne et décida de presser le pas vers ses appartements, tout en se demandant s'il ne serait pas avisé de rendre une seconde visite à Anya. L'idée fut rapidement chassée. La reine se reposait certainement après ses efforts de la veille, et aspirait à n'en pas douter à la tranquillité plus qu'à autre choses tant elle avait du voir défiler de visages connus ou non aujourd'hui. Alors Adel reprit un rythme de marche soutenu. Les talons de ses hautes bottes claquaient légèrement à chacun de ses pas sur le sol dallé du Bastion, résonnant au travers des ruelles vides. Ce silence presque complet la détendait toujours, une fois le soir venu. Et ce même silence lui sauva la vie. L'adolescente perçut le sifflement de la flèche qui fusait en sa direction et se retourna à temps pour faire face au projectile, vers lequel elle envoya d'un revers de la main gauche une bourrasque de vent qui le fit dévier de sa trajectoire première. Adel plongea dans la ruelle à sa droite sans lancer un regard vers son agresseur, peu désireuse d'être la cible d'une nouvelle pointe d'acier. Rapidement, elle se débarrassa de sa sacoche qui l'encombrait et se mit en garde vers la bifurcation qu'elle venait d'emprunter, les appuis légers, les poings fermés. Esmezia l'avait entraînée, l'avait préparée à faire face à ce genre de situations ; mais des années de théories ne lui auraient pas suffi pour rester sereine. Ses muscles étaient tendus, sa respiration irrégulière, son pouls trop élevé. Un ennemi se terrait, quelque part alentours, et avait tenté de la tuer. Pas de lui soutirer quelque information ou de la faire chanter, non : de la tuer. Elle tremblait de peur mais tentait de se faire une raison. Nul, quelques amis proches et Edward mis à part, n'était au courant qu'elle disposait du pouvoir des gemmes du vent. Cet imprévu allait nécessairement déstabiliser l'assaillant.

Mais à la surprise d'Adel, ledit gredin surgit face à elle avant qu'elle n'ait pu envisager de stratagème quelconque. Vêtu en civil, le visage masqué, il ne tenait d'armes mais un long coutelas était accroché à sa ceinture. Il exécuta un premier crochet du droit, en direction du visage de l'adolescente qui parvint tant bien que mal à parer mais en fut déstabilisée. Son ennemi en profita pour la repousser du plat du pied, la faisant brutalement choir. Alors qu'il allait lui agripper le bras, certainement pour menacer de le briser et ainsi immobiliser sa cible, l'inconnu se sentit toutefois décoller, propulsé en arrière par une nouvelle bourrasque qu'Adel venait de produire à deux mains. La seconde d'Edward se redressa aussitôt, désormais en proie à la panique, et exécuta un tour complet sur elle-même. Derrière elle se trouvaient les deux complices de son agresseur, aussi n'eut-elle d'autre choix que d'avancer droit vers celui qu'elle avait déjà réussi à repousser. Avant qu'il n'ait eu le temps de dégainer son arme, elle enchaîna plusieurs coups approximatifs, provoquant tous des courants adoptant une forme cylindrique et frappant, à chaque occurrence, leur cible en divers points. L'homme au couteau ressentit l'impact de ces puissants vents au niveau du plexus, des épaules et du visage, se faisant par ce biais bousculer de toute part sans pouvoir répliquer face à cette arme intangible. Adel profita de son impuissance pour passer devant lui sans s'arrêter, courut en direction de cette même balustrade depuis laquelle elle observait les tréfonds du Bastion quelques minutes auparavant, puis bondit en se propulsant sans finesse aucune afin d’atterrir sur le toit d'un bâtiment qu'elle devinait être résidentiel, quelques étages plus bas. Soulagée d'avoir réussi cette manœuvre durant laquelle elle faillit être prise de vertiges inopportuns, l'adolescente se permit de souffler un instant et ne se rendit compte que bien trop tard à son goût que ses trois ennemis avaient déployés de longues ailes immaculées et étaient presque arrivés à son niveau. Elle tenta de les repousser à distance, en vain. Habiles qu'ils étaient dans les airs, les hommes ailés n'eurent aucun mal à contourner l'attaque éparse de leur victime, à côté de laquelle ils atterrirent.

Aussi utile son don puisse-t-il être, Adel n'en voyait l'utilité une fois au corps à corps. Elle voulut ouvrir la bouche pour crier à l'aide et n'eut le temps que de prononcer une esquisse de syllabe. L'homme au couteau, placide, avait plaqué son immense main sur son visage et la soulevait sans peine à un mètre du sol. Il battit des ailes afin d’atterrir en douceur dans la rue en contrebas et jeta, une fois ceci fait, son fardeau sur le sol pierreux. Dès lors, Adel se recroquevilla, tenta de couvrir de ses bras et de ses jambes les parties les plus sensibles de son anatomie, et attendit qu'ils en aient fini. Ses rares essais visant à ouvrir le dialogue furent tous coupés nets par des rouées de coups plus énergiques encore que les précédentes. Alors Adel se tut. Tandis que les seules parties de son corps qu'elle sentait encore ne lui communiquaient que douleur, elle pensa, tant qu'elle en fut capable, à cette enfant dont Edward était le père. Puis, au moment où elle pensait rejoindre sous peu le panthéon des macchabées, on cessa de la frapper. Celui des trois qui semblait diriger ce passage à tabac la redressa comme si elle ne pesait rien, la força à le regarder droit dans les yeux et s'approcha pour lui murmurer, avant de la laisser choir une dernière fois, ces quelques mots :

-Dis à ton roi qu'il continuera de souffrir. Dis le lui. Et fais lui bien comprendre que ce n'est pas à lui que nous nous en prendrons.

Adel ne sut pas combien de temps elle resta au sol, frigorifiée et endolorie, avant qu'on ne vienne lui porter assistance ; mais lorsqu'elle s'éveilla le lendemain sur un lit de clinique, elle n'était pas seule.
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MessageSujet: Re: Gaïden - Adel Lidar    Gaïden - Adel Lidar  EmptyMer 9 Sep - 0:12

Les parties affichées de cette couleur ont été rédigées par Jaleniel.


Les paupières d'Adel s'ouvrirent une première fois, timidement, avant de se refermer aussitôt face à la luminosité de la pièce. L'éveil de sa vue fut suivi par les signaux nerveux que lui envoyèrent ses différents membres et organes, encore endoloris par les événements de la veille. Ceux-ci lui revinrent vivement en mémoire. Trois mutants ailés l'avaient violemment agressée, la rouant de coups jusqu'à qu'elle soit sur le point de perdre connaissance. Plus encore que les coups, ce furent toutefois les derniers mots, sans équivoque, de l'homme au couteau qui envahirent aussitôt l'intégralité de sa cognition. Ils allaient s'en prendre à la fille d'Edward. Adel voulut se redresser et comprit dès l'esquisse de son geste que son corps lui interdisait une telle débauche d'énergie. Une douleur globalisée se fit ressentir, si bien que l'adolescente grimaça péniblement et se laissa choir sur le coussin dont elle avait tenté de s'extraire. Elle essaya de reprendre son souffle, haletante, se retenant de geindre tant le moindre gonflement de sa poitrine lors de ses inspirations lui était insupportable, et détailla lors de cette accalmie la pièce dans laquelle elle se trouvait. Tous ses murs étaient immaculés, jurant avant la pierre légèrement orangée qui constituait les murs du Bastion, et un silence quasi-total y régnait. Elle se trouvait sur un lit rudimentaire mais relativement confortable, dont elle repoussa la couverture tant elle avait chaud, et ce fut alors que trois jeunes femmes qu'elle connaissait bien entrèrent en trombe. La première, une petite blonde aux joues rondes et aux yeux pétillants, était Alix Firmin, la tapissière qui avait vécu, cinq ans durant, sous le même toit qu'elle à Valato. Elle s'était presque jetée sur elle, visiblement envieuse de la serrer dans ses bras, mais parvint à se contenter d'une douce main passée sur son visage. Ses sclérotiques, ponctués de vaisseaux sanguins, témoignait des larmes en ayant récemment coulées. Adel fut quelque peu prise au dépourvu et, encore étourdie, ne parvint qu'à effleurer l'avant-bras d'Alix. La deuxième des trois femmes était Esmezia Fambriel, la guerrière rousse qui était à la tête des expéditions et qui dirigeait désormais le Fer de Lance. Celle-ci prit un tabouret qu'elle approcha du lit de la blessée et s'y installa calmement, adressant un sourire qu'elle voulut rassurant à l'adolescente. La troisième, enfin, était Oloren Ehlkaÿd, la dernière descendante d'une légendaire lignée valatienne. Toutes trois formaient un trio d'amies dont Adel était particulièrement proche. Dans un premier temps, la petite stratège sentit que des vertiges l'handicapaient, mais elle fut aussi aussitôt prise en charge par un guérisseur qui avait également assisté à son réveil. Soulagée de la douleur et des désagréments autres par l'intervention de ce mage, elle parvint à retrouver ses esprits et s'installa, avec l'aide d'Alix, en position assise. Elle tenta de parler mais dut s'y prendre à trois fois tant sa gorge, irritée, la gênait. Une fois accoutumée à cet énième souci, elle s'adressa à ses visiteuses, sans en cibler une en particulier.

-Ça fait combien de temps ? demanda-t-elle d'une voix enrouée, faible.

-Une trentaine d'heures, répondit Esmezia du tac au tac. Ils t'ont remis sur pied mais ils ne peuvent pas faire grand chose pour l'anémie. Tu vas tenir le lit un petit bout de temps ma grande.

Tenir le lit, dans de telles circonstances ? Jamais, en six mois, elle ne s'était permis d'obstruer de son quotidien les affaires du gouvernement, pas même pour une journée. Mettre en suspens ses responsabilité alors que le peuple grondait et qu'un groupuscule menaçait d'attenter aux jours des proches du roi était impensable. Alix coupa court aux contestations qui n'allaient tarder à être exprimées.

-Ne sois pas têtue ! Tu dois te reposer !

Adel, surprise, marqua un temps d'arrêt. Pour que même Alix, d'habitude si réservée, en vienne à user de son autorité d'aînesse pour la sermonner ainsi, c'était que son état avait du être bien plus grave que ce qu'elle n’imaginait alors. Peut-être n'était-elle pas passé loin de ne jamais se réveiller. Et pourtant...elle n'aspirait qu'à retrouver Edward, sans délai. Du regard, elle chercha le soutien d'Oloren, espérant qu'elle aille à contre-sens de ses amies.

Grandir dans les rues de Nora avaient gardé Oloren de toute sagesse durant une grande période, qu'elle avait su rattraper auprès d'Irwan, avant que celui-ci ne tire son ultime révérence. Aussi, bien que ses raisons, au même âge, aient été bien différentes, elle ne pouvait que comprendre le malaise d'Adel à rester cloîtrée dans une pièce aussi neutre. Elle pouffa d'un rire doux, une caractéristique qui s'était depuis peu ajoutée à son caractère, probablement fruit de sa relation avec la tapissière. À présent, c'était à elle de trouver un compromis, tandis que ses deux amis se contentaient de n'avoir pour objectif que le rétablissement de la petite génie.

- On te ramènera tous les livres qu'il te faudra, t'inquiète pas … Et si tu promet d'être sage et calme, j'veux bien te ramener Edward en personne, lâcha-t-elle en riant. Mais pas d'efforts physiques pour toi ! Ça inclut des nuits de huit heures complètes obligatoires jusqu'à rétablissement total. Alors ? Qu'est-ce que vous en dites ?

Elle observa Alix, Zia et Adel à tour de rôle. Elle se doutait qu'Alix pourrait éventuellement contester, mais elle saurait la pousser à lui faire confiance, surtout que l'idée avait des chances de plaire à Adel, plus impliquée que quiconque, hormis peut-être Edward lui-même, dans le gouvernement du Bastion.
L'intéressée acquiesça en silence, encore pâteuse, et sentit ses paupières s'alourdir. Elle remercia d'un faible signe Oloren avant qu'Alix ne décrète qu'il était temps de la laisser se reposer, quand bien même cela ne faisait que quelques instants qu'elles étaient présentes. Adel, de nouveau allongée, regarda la benjamine des Ehlkaÿd et son amie de cœur quitter la pièce, tandis qu'Esmezia lui adressa une seconde fois la parole, si bas qu'elle murmurait presque. En dépit de ses inquiétudes, ce fut avec entrain qu'elle s'exprima.

-Ils t'ont bien amochée mais tu t'en es quand même sortie. Je suis fière de toi.

Adel n'eut le temps de rétorquer, Esmezia s'en allant déjà rejoindre ses camarades, pourtant l'envie y était. Ses compétences martiales n'avaient pas joué le moindre rôle dans sa survie. On ne l'avait pas tuée car cet attentat n'avait pas eu pour but de l'abattre. En la blessant ainsi, en l'affaiblissant, elle qui était une figure de proue de ce gouvernement, leurs ennemis envoyaient un message fort. Personne n'était à l'abri. Quant à connaître leurs objectifs...l'adolescente ne parvint pas à se concentrer bien plus longtemps.

♦♦♦


Elle s'éveilla de nouveau deux heures plus tard et constata avec joie qu'Oloren avait tenu sa promesse : sur sa table de nuit reposaient les trois ouvrages qu'elle était actuellement en train de lire, des traité sociaux et économiques en provenance de différents mondes. Elle n'y cherchait rien en particulier, espérant simplement pouvoir s'inspirer des observations de ces auteurs experts pour améliorer les conditions de vie des habitants du Bastion. À défaut de mieux, elle continua donc à mémoriser ces nombreux mots, notant régulièrement une idée quelconque sur son carnet, qu'on avait semblait-il retrouvé. Elle avait eu peur qu'il ne soit perdu à jamais lorsqu'elle avait déposé sa sacoche au sol au moment de l'agression. Le même guérisseur qui s'était chargé d'elle plus tôt vint lui annoncer que plusieurs personnes, dont Edward lui-même, étaient passés la voir mais avaient préféré s'éclipser plutôt que de la tirer de son sommeil. Le seul fait de savoir que le roi était venu s'enquérir de son état suffit à atténuer ses maux. Alors qu'elle avalait avec difficulté le déjeuner qu'on lui avait servi, Darius vint se présenter à sa porte. Les deux gardes qui y étaient assignés par mesure de sécurité jaugèrent qu'ils pouvaient le laisser entrer et le jeune homme vint s'asseoir directement sur le lit de la blessée, qui l'observa avec des yeux ronds. Elle le connaissait à peine, alors pourquoi s'autorisait-il une telle familiarité ? Les seuls fois où elle lui adressait la parole, c'était pour lui reprocher son attitude ou lui donner des ordres, or voilà qu'il se tenait là, à un mètre d'elle, un sourire amusé et, semblait-il, attendri sur les lèvres. Constatant le malaise montant de l'adolescente, Darius prit la parole.

-Ouais, je sais. C'est pas moi que tu t'attendais à voir. M'enfin...c'est que tu nous aura fais une sacré frayeur, Bubulle.

-Bubulle ?

-Tout juste. Ça m'est venu sur le coup. On aurait pu trouver mieux, je suis d'accord.

Adel avait beau le dévisager, elle ne comprenait pas où il voulait en venir, et concevait difficilement qu'il ait pu craindre pour son état, lui qui ne se souciait que de sa personne en toute circonstance. Trop faible pour être cinglante, elle se contenta toutefois de l'observer, indécise quant au comportement qu'elle se devait d'adopter face à cet individu imprévisible.

-Vous...vouliez quelque chose, monsieur Maffert ? finit-elle par demander.

Lui ne semblait attendre que ça et, fait exceptionnel, se gratta nerveusement la nuque en détournant le regard. Ce fut sur un ton hésitant qui ne lui ressemblait pas qu'il répondit.

-Eh bah...oui...je sais que même si c'est pas vraiment ton poste, tu te charges très souvent d'organiser les défenses et...eh bien...je vais partir pour Porol quelque temps. On m'a proposé de travailler pour eux et, sans vouloir t'offenser, ils ont mieux à offrir.

Sans Darius pour créer ses myrs et produire l'acier dont les forgerons avaient besoin pour équiper les soldats, le fonctionnement militaire du Bastion perdrait considérablement en efficacité. La nouvelle, terrible, aurait laissé Adel en proie à la panique si elle ne se sentait pas aussi exténuée. Quelques secondes durant, son regard se perdit dans le vide alors qu'elle réfléchissait intensément, puis elle se retourna vers Darius, qui n'avait pas bougé d'un pouce. Son allure délabrée et son insolente assurance juraient avec les teintes mornes de la pièce, au même titre que son comportement jurait avec l'ordre qui était de rigueur pour que l'humanité prospère de nouveau. Peut-être avait-il raison de quitter, momentanément, cette communauté au sein de laquelle il ne trouvait pas sa place. Étrangement, elle ne parvint à lui en vouloir.

-Pourquoi ? lui demanda-t-elle simplement, sans émotion dans la voix.

-Boh, pour essayer, rétorqua-t-il en haussant les épaules. Edwig va y aller aussi, en plus, je crois. Et puis en plus, tu m'as pas pris dans ton petit groupe.

-Le Fer de Lance ? fit Adel, cette fois-ci non sans marquer son étonnement. Vous auriez accepté d'en être ?

Darius leva les yeux au ciel en retrouvant son sourire.

-Évidemment que non, qu'est-ce que tu crois ! Mais sur le principe, quand même, je trouve pas ça sympa. Enfin, je te dérange pas plus longtemps, Bubulle.

L'Eldarak se leva aussitôt et fit quelques pas en direction de la porte, tournant le dos à Adel, puis il fit volte-face et revint à sa position initiale. Sans que son état ne lui permette de réagir promptement, il passa une main derrière son crâne et vint déposer un baiser sur son front. Plus stupéfaite que gênée, Adel ne rougit pas le moins du monde mais fronça les sourcils, l’interrogeant à nouveau du regard. Lui s'était redressé, prêt à partir pour de bon, ce qu'il fit après avoir prononcé quelques dernières phrases grandiloquentes, soignant ainsi sa sortie probablement prévue à l'avance.

-Tu es quelqu'un de bien, Bubulle. Pas comme nous autre. Alors fais attention à toi ; ce serait dommage qu'un type comme moi s'en sorte mais que toi tu te fasses tuer.

♦♦♦


La convalescente ne parvint pas à se rendormir en début d'après-midi, troublée par les propos de Darius. Elle n'accordait qu'une importance émotionnelle moindre pour ce garçon à qui elle ne portait aucune affection, pourtant l'entendre s'exprimer avec tant de sincérité l'apaisait. Elle n'eut, fort heureusement à son goût, guère le loisir de s'attarder sur le sujet, en cela que le personnel de la clinique lui imposa une série de massages tous plus désagréables les uns que les autres, mais selon eux nécessaires à la récupération prompte de son tonus musculaire. Une fois de plus, elle devina qu'elle en revenait de loin pour que des soins aussi intensifs lui soient prodigués. La vérité s'avérait toute autre et Adel, naïve qu'elle était parfois, ne devina pas que cette intention particulière lui était portée du fait de son rang. De retour dans sa chambre, jusqu'à laquelle on l'avait portée, elle fut surprise de voir que Lilia Hubs l'attendait à son chevet. L'archange la salua de la main, peu à son aise, et attendit qu'elles soient seules pour s'adresser à elle.

-Tu vas bien ?

-À peu près, répondit la jeune stratège, déconcertée. Mais je ne m'attendais pas à vous voir.

Lilia lui adressa un sourire si triste qu'Adel en eut la gorge serrée. Elle se demanda si ses propos avaient été déplacés, se remémorant les discussions qu'elle avait pu avoir avec Miranda au sujet de Lilia. Selon la cadette, sa sœur d'adoption était une femme particulièrement fragile depuis l'attaque de l'Arène, et qui avait tendance à avoir honte d'elle-même. Elle manquait d'une assurance qui lui faisait cruellement défaut et se fourvoyait en pensant que le monde entier lui en voulait pour ses erreurs passées, pour son comportement, pour son mutisme. Adel n'eut pas le temps de s'excuser.

-Je suis désolée, lui lança Lilia sans la regarder. Je sais que beaucoup comptent sur moi, mais...je n'arrive pas à...

En l'observeant de plus près, Adel se rendit compte de l'état de son interlocutrice, dont les cheveux étaient ébouriffés et qui avait la mine particulièrement pâle, presque autant que la sienne alors qu'elle souffrait d'anémie. À bien y réfléchir, c'était, du moins de ce qu'elle en savait, la première fois que l'archange sortait de chez elle depuis au moins deux semaines. Elle semblait être dans un état tel qu'il fallait la porter à bout de bras, pourtant elle était venue la voir, seule. Ce simple fait suffit à émouvoir Adel, qui appréciait beaucoup la jeune femme lui faisant face. Elles avaient partagés de bons moments touts les deux durant le tournoi du Pot, puis s'étaient plutôt bien entendues depuis lors dès que la situation nécessitait l'intervention de Lilia. Cette dernière essuya d'un revers de la main ses yeux humectés avant que les larmes n'en coulent, puis eut le courage de plonger ses yeux d'un bleu pâle dans ceux de l'adolescente, qui redécouvrit le visage lumineux de la mutante. Elle brillait d'une beauté n'ayant rien à voir avec les bombes de voluptés telles qu'Oloren, disposait d'un charme et d'un capital sympathie presque instantané. Miranda disait souvent qu'il était impossible de ne pas l'aimer, et Adel ne put qu'approuver.

-Je me suis assez lamentée comme ça, fit Lilia en exhibant un sourire reflétant enfin la joie. Je pensais que je ne pourrais jamais être plus triste qu'après la mort de ma sœur, mais les choses peuvent toujours être pires. Je n'ai jamais été là quand tu avais besoin de moi, alors c'est un peu de ma faute, si on en arrive là...

Peu à son aise dans le rôle de confidente rassurante, Adel ne sut quoi rétorquer et se contenta de hocher la tête en signe de négation, ce qui suffit amplement à Lilia. Elle n'avait guère besoin que d'être écoutée aujourd'hui.

-Mais je serai là maintenant, continua l'archange. Je vais aller voir Raphaël et régler la situation.

-Merci, Lilia, mais je dois vous demander de ne rien en faire. Rien ne prouve que ces hommes étaient sous les ordres de Porol.

Lilia acquiesça en hâte. Elle ferait ce qu'on lui demanderait de faire, cesserait de ne penser qu'à sa petite personne, et ne se plaindrai plus de sa situation en face d'une personne ayant frôlé la mort. Les deux connaissances entreprirent de discuter du cas de Raphaël Monier quelques instants. Ce gaillard, qui avait toujours été très à cheval sur ses principes, avait trahi une partie des siens et avait érigé un mouvement dissident au sein de l'humanité. Lilia, qui le connaissait depuis des années, avait du mal à croire à ce revirement de situation, pourtant bien réel, et plus Adel interrogeait ses anciens proches, plus elle aussi peinait à trouver une logique à ses actes. Leur conversation ne dura pas bien longtemps, l'adolescente sentant à nouveau la torpeur la gagner. Lilia la quitta alors, et Adel n'eut aucune difficulté à s'assoupir en repensant à ce court instant partagé. Retrouver les prémices de sa joie de vivre d'antan sur le visage de l'archange la ravissait et venait l'ôter du poids engendré par le départ de Darius. La perte de l'Eldarak serait largement contre-balancée par un retour en force de leur archange.[/justify]


♦♦♦


Elle n'émergea de nouveau qu'en début de soirée et sursauta en constatant que quelqu'un se tenait à ses côtés, assis sur le tabouret, tout proche de son lit. Placide, le visiteur ne bougea pas d'un pouce et Adel eut besoin de se frotter les yeux avant de reconnaître Miranda, qui la fixait sans expression.

-Miranda ? demanda la blessée, ankylosée. Depuis combien de temps tu...

La télékinésiste haussa les épaules.

-J'sais plus. Peut-être une heure. Lilia m'a dit que t'étais vivante, alors j'suis venue voir.

-Venue voir ?

-Hum. Et du coup ouais. T'es encore vivante.

Adel se redressa tant bien que mal sans quitter son amie du regard. Leur différence d'âge minime et un concours de circonstance les avaient fait rapidement sympathiser durant le tournoi du Pot. Depuis, elles se voyaient très souvent et étaient devenues de véritables amies malgré leurs caractères diamétralement opposés. Miranda, bien qu'étant la plus jeune, se plaisait à aviser moult conseils relationnels à sa camarade, qui n'en avait eu réellement cure au départ mais voyait désormais en elle l'une des rares confidentes avec lesquelles elle pouvait librement parler de ses sentiments pour Edward. La porte-parole du gouvernement remarqua que l'épée de la mutante, dans son fourreau, était déposée au pied du lit. Les armes étaient pourtant interdites à la clinique, mais l'on pouvait aisément comprendre que les pauvres gardes de le bâtisse n'aient été désireux de s'opposer à l'une des mages les plus puissantes du Bastion. Adel en profita pour empoigner l'objet, qu'elle n'avait jamais réellement eu l'occasion de détailler. Elle en apprécia la forme, marqua son incompréhension face aux éléments poroliens, puis la rengaina bien vite lorsque Miranda, le menton posé sur ses mains en coupelle, s'adressa à elle.

-T'as besoin de quelque chose ? lui demanda-t-elle.

-Je ne crois pas. De temps, semblerait-il.

-Hum. Mais à part ça. Non parce que, je sais pas si on te l'as dis, mais t'as une sale mine. Même s'ils disent que tu vas bien, on a l'impression que tu pourrais claquer n'importe quand. Sérieux. Tu fais peur.

-À ce point là ? s'amusa l'adolescente.

Il était vrai qu'elle ne s'était pas regardée, mais elle ne tenait guère à constater de ses propres yeux l'état de son visage, dont la peau avait presque viré au blanc immaculé et qui présentait de profondes cernes, ce en dépit de ses heures de sommeil cumulées. Miranda tendit un index qu'elle alla enfoncer sans vergogne entre les côtes de son amie à répétition, plus pour la taquiner par habitude qu'autre chose, puis reprit, changeant de sujet et de ton :

-Je me posais une question vis à vis d'Edward.

Adel rougit presque aussitôt mais ne s'en formalisa pas, sa passion n'était plus un secret pour Miranda depuis des mois déjà.

-Quoi donc ?

-Eh bah, toi, t'es officiellement maître-savoir. Et t'es encore plus officiellement à fond sur ton « roi ». Mais sauf si je dis une connerie, et je dis pas que c'est impossible, les maîtres-savoirs ont pas le droit de sa marier ou d'avoir de gosses, hein ?

-C'est exact.

-Eh bah ? fit Miranda en haussant les épaules. Qu'est-ce que t’espère si de toute façon t'as pas le droit de faire quoi que ce soit, avec ton petit roi ?

Miranda visait, en théorie, juste. Les codes d'honneur valatiennes interdisaient aux maître-savoir de fonder une famille, afin que leur attention ne soit centrée que sur leurs devoirs envers le peuple et envers leur souverain. Tous les plus grands sages, de Poroa Lilloh à Irwan Knell, avaient respecté ce vœu de chasteté. Adel, à présent réellement gênée, rétorqua en étouffant un rire nerveux.

-Rien ne nous force à conserver l'intégralité des traditions d'antan...

Miranda lui rendit son rire, plus franc.

-Ouais, ça t'arrange bien hein. N’empêche que ça avance pas ton histoire. Ça te frustre pas, de l'avoir a portée de main et de le voir faire un gosse à une autre nana ?

-Ton histoire n'avance guère plus, que je sache ! rétorqua Adel.

-Hum. T'as pas tort. À croire qu'on est aussi mauvaises l'une que l'autre. Bon. Désolée de t'avoir fait peur au réveil. Et, euh...

La mutante marqua un temps d'arrêt, hésitant à évoquer un sujet qui semblait pourtant lui tenir à cœur. Adel en fut réellement surprise. Son amie n'était pourtant pas du style à garder sa langue dans sa poche, quel que soit le sujet à évoquer. Elle n'hésitait jamais à proférer les pires atrocités sans broncher, à annoncer des vérités déplaisantes, à passer outre la bienséance si cela lui chantait. Alors, Miranda anxieuse à l'idée de s'exprimer ? Une telle exclusivité ne pouvait qu'attiser la curiosité de la jeune érudite. Elle l'incita à continuer. Miranda jeta un œil aux alentours pour s'assurer qu'aucun visiteur inopportun ne venait faire intrusion, puis se lança.

-Si ça évolue pas pour toi, ni pour moi, et qu'un jour t'en as ras la casquette...que t'as besoin d'évacuer, tu vois ? Rien de sérieux, hein ! Mais bon. Vu qu'on se connaît, qu'on sait qu'il y a rien entre nous, je me disais que c'était une possibilité.

Adel, ébahie, peinait à croire que Miranda venait, sans qu'il s'agisse d'une plaisanterie quelconque, de lui proposer cette...« possibilité ». Le doute la submergea. Et si elle avait compris de travers ? Sans doute aurait-ce été mieux ainsi. Quand bien même le ton de son amie ne laissait que peu de place au doute, ses propos ambigus avaient peut-être été interprétés de travers. Un silence s'était installé et Adel, qui se mordait les lèvres, alla finalement le briser en restant tout aussi vague.

-Tu parles bien de...

-Bah, oui. Mais attention hein ! C'est juste si jamais...

De nouveau, les deux adolescentes se fixèrent, tendues. L'idée même d'une telle obscénité révulsait Adel, qui tenta pourtant d'intellectualiser la chose. En fin de compte, elle en vint à se demander si son aversion n'était pas injustifiée, et le fait que Miranda soit tout aussi anxieuse qu'elle la rassura. Adel retrouva son léger sourire habituel et sa sérénité, ce qui permit à la mutante de souffler un peu.

-Désolée, mais je suis vraiment amoureuse. Même si c'est une passion impossible, même si je dois continuer de faire profile bas. Même s'il ne le remarquait jamais...

Miranda acquiesça et retrouva son rythme cardiaque normal, de même que son air mi-placide mi-arrogant. Elle posa un poing serré sur sa hanche et, de sa main libre, empoigna le fourreau qui reposait toujours sur le lit.

-Je vois ! fit-elle. Bah, tant pis. Si tu changes d'avis, sait-on jamais. Oh, ça change rien sinon, hein. On est amies.

-Bien sûr, affirma Adel avec joie.

-Du coup je veux juste savoir. C'est parce que je suis une fille ?

-Pas seulement. Mais oui, ça aussi.

-Alors je peux comprendre. Je coucherai pas avec un garçon non plus. Bon, je file. J'vais dire à Edward que t'es réveillée !

-Hein ? Non, Mira !

Mais Miranda passait déjà la porte, tout sourire. Adel soupira un grand coup. Que d'émotions qu'on lui faisait vivre ces jours-ci ! Mais elle n'aurait pu s'en plaindre. Ce nouveau monde avait beau être terrible, elle s'y était fait des amis aux caractères éparses, plus hauts en couleur les uns que les autres. Restait qu'une boule de stress prenait progressivement place dans son estomac. Connaissant Miranda, elle était tout à fait capable d'être réellement allée chercher Edward.
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